Claire Langlet – Scopsi

 

Représentations des TIC en milieu migrant : le cas des  « boutiques de communication » de Château-Rouge

 

 

Depuis le début de l’année 2001, certains quartiers parisiens voient fleurir les « boutiques de communication » : ces points de vente proposent des services de téléphonie internationale, des forfaits et des accessoires de téléphonie mobile, l’accès à des fax en émission et réception, et grâce à l’ADSL, des micro ordinateurs connectés à l’internet. Elles s’inspirent du modèle des taxiphones ou télécentres africains, créés quelques mois plus tôt, notamment à Dakar.

 

Ces lieux d’économie privée rejoignent la lignée des dispositifs d’accès collectifs aux technologies et réseaux de communication : cabines téléphoniques publiques, expériences d’information par minitel au sein des administrations dans les années 80, bornes interactives associées à la visite de musée, et plus récemment, les espaces publics multimédia, lieux d’initiation à l’internet labellisés à la fin des années 90 dans le cadre du PAGSI[1].

Le relevé des implantations de ces boutiques dans une partie du XVIIIème arrondissement de Paris, montre leur concentration particulière dans le périmètre de « Château-Rouge », quartier habité par une population immigrée d’origines très diverses, et centralité immigrée organisée autour d’un marché exotique de réputation internationale, connu sous le nom de « marché africain ».

Ce constat conduit à s’interroger sur le rôle des Technologies de l’Information dans la structuration de l’identité des populations migrantes, et notamment du sentiment diasporique, c’est à dire la conscience collective d’une identité transnationale, nourrie du sentiment d’être « autre » au sein de la nation d’accueil. Selon Dominique Wolton, en effet, optimiser les flux de communication internationaux ne conduit pas naturellement à une meilleure compréhension mutuelle. Ces dispositifs marchands seront donc abordés sous l’angle de l’anthropologie de mondes contemporains de Marc Augié, selon lequel la conscience de l’identité et de l’altérité, au cœur de la pensée ethnologique, ne se construit plus seulement sur la distance géographique et l’ « exotisme » traditionnel.

 

Trois pistes sont explorées :

 

Média sans contenu, les boutiques de communication interviennent comme faciliteurs dans les relations des migrants avec leur pays d’origine, mais sont aussi porteuses de discours, certes rudimentaires, susceptibles de traduire les constructions imaginaires, rêves, fantasmes, croyances qui, selon Anne-Marie Laulan, Jacques Perriault, Victor Scardigli ou Michèle Descolonges accompagnent la mise en place d’une offre technologique majeure. Emplacement, matériel commercial, enseignes, conditions de constitution, argumentations des créateurs (notamment dans le cas du cybercafé Vis @ Vis, porté dans la presse par Ababacar Diop, l’ex-porte-parole des Sans Papier de Saint-Bernard) sont ainsi analysés dans le cadre de ce travail.

Ces données sont confrontées au travaux de Elihu Katz et Daniel Dayan sur la télévision cérémonielle, ceux de Jean-Paul Marthoz sur les médias diasporiques, ou de Dana Diminiscu sur l’appropriation du téléphone portable par les migrants roumains, ainsi que sur les travaux du réseau Africanti sur le développement des technologies de l’information et de la communication en Afrique.

 

Les conclusions doivent rester nuancées en raison de la jeunesse de ces boutiques : les préoccupations des communautés, pourtant visibles sur les affichettes apposées dans le quartier Château-Rouge, ne transparaissent nullement dans ces lieux qui ne semblent pas devoir être investis comme lieux de débats publics. Les boutiques de communication, en revanche contribuent pleinement au développement d’une activité économique transnationale, fondée sur des flux de communication et de matériels, donnés ou revendus à l’étranger, et associée à des services spécifiquement destinés au migrants : traductions, fret, « aide aux familles » ou services d’écrivain public.

Loin de refléter une vision nostalgique de l’exil ou la manifestation d’un repli identitaire, les arguments marchands de ces dispositifs, reflètent une vision contrastée de l’intégration : celle d’une multi-appartenance territoriale assumée, et constamment réactivée par les moyens de communication contemporains. Ils invitent à s’interroger sur l’évolution de la notion d’intégration au regard des pratiques actuelles.



[1] Programme d'Action du Gouvernement pour la Société de l'information