Au vocable « boutiques de communication », correspond un ensemble de produits et services et de lieux de vente disparates. Leur point commun est de proposer des équipements ou services liés aux télécommunications. Il n’existe pas de terme officiel pour les désigner, et ces boutiques peinent parfois à se désigner.
Ainsi :
Les boutiques associant la vente de cartes de téléphone prépayées à côté d’une autre activité, ne prennent pas la peine de qualifier cette activité secondaire : ce sont des épiceries, des commerces de tissu qui vendent des cartes téléphoniques.
Les boutiques spécialisées dans la vente de carte téléphoniques prépayées ne portent pas de qualificatif particulier. Nul ne s’est encore soucié d’attribuer un nom à ce type de commerce.
Les téléboutiques des zones ethniques et frontières, lorsqu’elles prennent la peine de s’auto-désigner, hésitent entre plusieurs vocables :
Les points d’accès à l’internet, montrent la même diversité de désignations :
Les commerces de téléphones cellulaires et d’accessoires de la zone standardisée rencontrent la même difficulté. La plupart ne se désignent pas. On trouve cependant les expressions suivantes :
La répartition en six classes proposée ici tente de mettre en évidence le développement respectif des commerces liés à la téléphonie et de ceux liés à l’internet, elle considère également les associations de produits et services liés au TIC avec d’autres types de produits.
Nous distinguons donc :
Les boutiques spécialisées dans la vente de
cartes prépayées
Les cartes prépayées correspondent à un crédit auprès d’un opérateur ou fournisseur, qui achète des minutes de communication en gros et les revend au détail.
Le principe est simple : une fois la carte achetée, l’on gratte la pellicule de peinture recouvrant le code secret. Il suffit ensuite de composer le numéro de l’opérateur, puis le code secret, puis le numéro du correspondant, pour bénéficier de 30 minutes ou d’une heure d’appel à l’étranger à un coût inférieur à celui de France Télécom mais différant selon la destination. Cet appel peut être effectué de chez soi, d’un téléphone portable, ou d’une cabine, selon le type de carte achetée.
En 1998 les cartes coûtaient de 100 à 125F (15 à 20 €). En 2001 des dizaines de marques se partagent le marché, et les prix sont tombés aux alentours de 7,50 € à 10 € (80 F).
Le succès de ces cartes s’explique par leur simplicité d’utilisation : il n’est pas besoin de s’adresser à un opérateur pour composer son numéro, la maîtrise de la langue n’est donc pas un handicap. Le forfait prépayé[1] permet de maîtriser le coût sans dépasser son budget par inadvertance. Dans un quartier voué à la « nostalgie » et au « discount », la carte prépayée ne pouvait que se développer.
En 2001, six boutiques se sont spécialisées dans la vente des cartes prépayées, quatre d’entre elles étant regroupées dans la rue Labat, et dans la portion du boulevard Barbès comprise entre la carrefour Labat et la rue Marcadet, zones de commerces Tamoul, et comportant une densité exceptionnelle de points de vente liés aux télécommunications.
Ces boutiques, de petite taille, rappellent par leur aménagement les boutiques de change : le fond de la boutique est occupé dans toute sa largeur par un long comptoir, dont la partie supérieure est vitrée. De nombreux panneaux et affiches indiquent les prix des communications selon la destination et les opérateurs. L’ensemble est fonctionnel et complètement orienté autour de cette activité, chose remarquable dans ce quartier, où règne un joyeux mélange tel qu’il est parfois difficile de déterminer l’activité principale d’un commerce.
Les boutiques
associant la vente de cartes prépayées à d’autres produits ou services
Si le marché Dejean et les rues adjacentes auxquelles on attribue le nom de « marché exotique »[2], ne comportent pas de boutique spécialisée dans la vente de cartes prépayées, il n’est cependant pas difficile de trouver de tels articles. Une multitude de boutiques se consacre à la vente de cartes prépayées en complément d’une autre activité. Ce principe de vente se superpose exactement à l’implantation des commerces exotiques, comme si ces deux choix commerciaux s’apparentaient.
Une pratique se répand dans les bazars du boulevard Barbès, tenus par des Tamuls : une fenêtre en forme de demi cercle est découpé au diamant dans la vitrine, une table est installée derrière, et les fameuses affichettes collées de part et d’autre. Un guichet de vente rapide est ainsi « bricolé », permettant l’achat de cartes sans pénétrer dans la boutique. Cette pratique révèle la bonne santé du marché des cartes prépayées, qui permet de spécialiser l’un des vendeurs dans cette activité, mais montre également que le besoin se fait sentir de distinguer le produit de télécommunications des autres produits, pourtant disparates, vendus dans la boutique, en créant une sorte de « sous-boutique ».
Les téléboutiques
Nous désignons par ce terme les boutiques proposant l’usage de cabines téléphoniques internationales.
L’appellation « téléboutique » désigne les lieux équipés d’un ensemble de cabines, fermées par une porte de bois plein percée d’une lucarne vitrée, que l’on utilise moyennant le paiement à la durée ou l’utilisation d’une carte prépayée. Les téléboutiques se sont implantées dans le quartier sous l’impulsion de la déréglementation du 1er janvier 1998. Le phénomène, à l’époque, a été suffisamment visible pour faire l’objet d’un article dans la gazette de l’arrondissement[3], expliquant leur fonctionnement aux riverains.
Le système Call Box de Telnet France, y est représenté. Les cabines y sont branchées sur un ordinateur qui aiguille automatiquement l’appel vers l’opérateur international le moins cher. Le positionnement de Telnet est d’être moins cher que France Télécom en jouant sur les taux de change et les volumes d’appels achetés « en gros » aux opérateurs étrangers.
C’est au sein de ces téléboutiques que se développent, depuis la fin 2000, la majorité des points d’accès à l’internet.
Le cyber café ou la cyberboutique
spécialisée
Le modèle initial de cyber café, un café traditionnel réservant un espace à la consultation de l’internet, est arrivé en France vers 1996. Il a contribué à populariser l’internet malgré des tarifs encore élevés (60F/heure), mais ce modèle a fortement décru et ne subsiste plus que dans les quartiers branchés de la capitale sous forme de webbar. En 2001, deux lieux pouvaient prétendre à cette appellation à Château-Rouge : la Case @ Café rue de la Goutte d’Or et le Vis @ Vis, place Saint-Bernard. En 2003, le premier, tout en conservant l’arobase caractéristique de son nom, a remplacé l’espace internet par un PMU. Le second, a fermé l’espace café pour étendre le nombre de postes internet. Le modèle du cyber café a donc complètement disparu du quartier, cependant l’appellation reste ponctuellement en usage sur les enseignes, même si elle n’est plus justifiée que par un quelconque distributeur automatique de boissons !
Trois autres lieux exclusivement consacrés à l’internet ont ouvert entre 2001 et 2003 : le Gokalais Bookshop rue de Clignancourt, le Cl@ss’Copy.net rue Duc et le Livenet rue Simart . Avec le Vis @ Vis, ce sont donc trois commerces privés qui ont fait le choix de centrer leur activité sur l’internet, sans la compléter par la téléphonie ou la limonaderie. Cela les oblige à diversifier leur activité autour de l’informatique en proposant des initiations à l’internet, des formations à la bureautique ou à la rédaction de CV, ou de services annexes : visioconférence, scannage, gravage de cédéroms ou DVD, impression numérique ou reprographie.
Les télé-cyberboutiques
Le
modèle dominant d’accès à l’internet, émergent en 2001, nettement confirmé en
2003, est celui de la téléboutique proposant quelques points d’accès à
l’internet. D’autres services d’appoint, liés à la notion d’utilisation en
libre service d’appareils de reproduction numérique s’y adjoignent
fréquemment : un ou deux photocopieurs, une cabine de type
« photomaton », un service d’émission et réception de fax. On assiste
désormais à l’éclosion de boutiques de services permettant de traiter
complètement les documents administratifs ou professionnels. En 2003 s’amorce
une nouvelle diversification de services : les nouvelles
télé-cyberboutiques s’installent à proximité de cabinets de gestion ou de
rédaction d’actes administratifs (rue Marcadet), voire d’écrivains publics, ou
proposent des prestations de traduction d’actes administratifs.
Les boutiques de téléphones portables et
accessoires de téléphonie mobile
Les
boutiques de terminaux et d’accessoires de téléphonie mobile ne sont pas des
dispositifs d’accès collectifs. Elles méritent cependant d’être mentionnées ici
car, représentées dans les zones de commerces « standardisés», elles sont
également très présentes dans les zones « ethno-discount » : la
vogue du portable ne semble pas rencontrer de frontière culturelle. Ces
boutiques sont également la preuve, confirmée lors des observations à
l’intérieur des téléboutiques [Annexe IV-10], que le développement des
téléboutiques n’est pas le résultat d’une exclusion des migrants des autres
formes de communication, trop onéreuses, ou inadaptées, mais bel et bien d’une
diversification des usages des télécommunications par les migrants, les
différentes formes de téléphonie et de télécommunication se combinant selon
leur aptitude à répondre au mieux et au meilleur coût, au besoin de
communiquer.
(Un agrandissement de ces cartes est proposé en Annexe IV-3)
Situation en février 2001 |
Situation en mai 2003 |
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È |
Boutique de téléphones
portables et accessoires. |
Téléboutiques. |
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Cyberboutiques, y compris les télé-cyberboutiques. |
Vente de cartes téléphoniques, sans cabines téléphoniques. |
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Les quartiers Clignancourt et Château-Rouge présentent chacun des zones de commerces organisées le long d’un grand axe routier (Rue Ordener, boulevard Ornano et boulevard Barbès) et une autre centrée autour d’un marché (marché du Poteau,marché Dejean), toutes également fréquentées. Mais la commercialisation de produits et de services liés aux TIC y prend des formes différentes.
Dans la zone « standardisée » de Clignancourt, la commercialisation des TIC est représentée en 2001 exclusivement par des commerces de téléphones mobiles assurant parfois également la vente de forfaits de connexion à l’internet (le seul point de vente de cartes prépayées étant une épicerie de type « alimentation générale », tenue par un maghrébin). Les commerces de TIC sont absents de la zone de commerces « traditionnels» du marché du Poteau. Vers la rue de Clignancourt et le boulevard Ornano, les téléboutiques, cyberboutiques et ventes de cartes prépayées marquent le début de zones de commerces ethniques. Dans la zone Château-Rouge/Barbès, tous les types de commercialisation des TIC sont représentés à l’exception des ventes de forfaits internet. Cette abondance et cette diversité des boutiques de produits de télécommunications est caractéristique des zones de commerces ethniques, et se retrouve dans d’autres quartiers de Paris voués à l’immigration.
Les cartes des relevés des TIC dans les quartiers de Château-Rouge et de Clignancourt, dessinent donc des territoires bien contrastés. Or ce contraste ne résulte pas d’un aménagement du territoire inégal résultant de conditions géographiques différentes, comme le reflètent, pas exemple, les cartes d’équipement de l’Afrique. Les territoires révélés ici, sont dessinés par l’usage et la force de l’introduction des TIC dans les modes de vie. Ce sont bien des territoires sociaux et culturels qui sont mis en évidence.
L’étonnante
densité des commerces liés au TIC constatée à Château-Rouge en 2001 est
confirmée en 2003. le nombre de téléboutiques a doublé en deux ans, (il s’est
créé presque une téléboutique par mois en 2003). Le nombre de points d’accès à
l’internet a également doublé pendant cette période, montrant que
l’introduction de cette technologie dans le quartier n’était pas un avatar sans
lendemain de la netéconomie, mais que ces implantations pouvaient survivre à la
crise des start-up. Les logiques d’implantation se confirment en 2003 :
les ventes d’accessoires et terminaux de téléphonie mobile se regroupent autour
du boulevard Barbès, côtoyant les bazars. Le centre du marché exotique, autour
du marché Dejean, constitué de commerces alimentaires, de marchands de tissu,
de bijoutiers et de coiffeurs, associe la vente de cartes prépayées à toutes
sortes d’autres denrées ou services. Dans les rues moins encombrées entourant
le marché africain, s’organisent les télé et cyberboutiques et les boutiques
spécialisées dans la vente de cartes prépayées.
Deux
rues se distinguent particulièrement : la rue Labat, investie par les
commerces Tamouls, présente un tissu commercial très orienté vers les
technologies : sur 29 commerces ouverts en 2003, 8 se consacrent à la
téléphonie, à l’internet, et aux cartes prépayées en activité principale ou
annexe. La rue Myrha, à l’habitat très dégradé, est, malgré l’église
évangéliste et la mosquée qu’elle accueille, une rue traditionnellement (et
visiblement) vouée à la drogue et à la prostitution. De nombreux commerces y
sont fermés et abandonnés. Pourtant, entre 2001 et 2003, elle a vu ouvrir 4
téléboutiques supplémentaires, avant même l’ouverture de l’EPN de la Goutte
d’Or. Ces deux rues dessinent, malgré leur improbable environnement reflet de
la précarité et de la difficulté de subsistance de leurs habitants, de
véritables « rues de la communication ».
Rue
Myrha environnement urbain Rue
Myrha, Al Houda telecom
Un regard plus appuyé sur l’environnement marchand des produits de télécommunication, sur leur association avec d’autres marchandises et boutiques, révèle d’autres particularités. [Annexe IV-6]
Les commerces tamouls et
maghrébins proposent des cartes téléphoniques dans les nombreux bazars du
boulevard Barbès ou dans les épiceries et magasins d’alimentation exotique,
tandis que les commerçants africains les associent volontiers aux boutiques de
tissu (wax, basins, pagnes) de bijoux et cosmétiques et aux salons de coiffure.
Il est à noter qu’on ne vend
jamais de carte téléphonique dans les pharmacies, boulangeries, et boucheries
quelque soit leur positionnement commercial. La carte semble liée à une
certaine frivolité, à la notion de parure, de superflu et de plaisir. L’on
vient au « marché africain » pour acheter les ingrédients des repas
élaborés, les vêtements, les accessoires de mode, les bijoux ainsi que les
livres, disques, cassettes vidéos et les menus objets d’équipement de la
maison. Ce sont des courses de plaisir, pas des corvées, qui dégagent un
impression d’excitation et de fête nettement perceptible. Les produits de
télécommunication participent donc comme « ingrédient » de ces
moments de loisir ou de fête.
« Nous utilisons les
cartes prépayées au moment des événements familiaux, les anniversaires, les
mariages »
explique Violette, française dont l’époux est viet-namien. « On achète
une ou deux cartes et on appelle la famille depuis chez-nous, c’est moins cher. »
Ce phénomène est bien
compris des opérateurs télécom qui proposent des cartes téléphoniques à prix
promotionnel pendant les fêtes.
Rue Labat – Affichettes « spécial Ramadan »
Il
faut donc voir dans cette festivité de la vente des cartes prépayées une
association spécifique à la situation de migrant pour lequel la fréquentation
de certains lieux marchands s’accompagne d’un retour symbolique au pays,
matérialisé par la rencontre de compatriotes et l’échange de nouvelles de la
famille, comme le souligne Sophie Bouly de Lesdain dans son enquête sur les
lieux d’approvisionnement des migrants :
« Ainsi, à la sortie du travail, certains se rendent
dans la boutique d’un compatriote pour se tenir au courant des dernières
nouvelles du pays et des compatriotes qui résident en France, pour partager une
information ou encore présenter le petit dernier de la famille. La fonction
première du passage à Château-Rouge est cette recherche de la
convivialité » [1999,125]
Faut-il
voir dans l’étonnante boutique de la rue ordener [Annexe IV-4 n°10], mi-salon
de coiffure mi-téléboutique et volontairement équipée pour ces deux activités,
l’aboutissement extrême de cette logique ? Un lieu où l’on peut
simultanément échanger avec la communauté de France et celle du
« pays », et résoudre l’impossible équation qui réconcilie ici et là-
bas ?
C’est
la piste que nous suivrons pour expliquer l’association, inconnue dans les
zones « standardisées » du téléphone et de l’internet. Dans le
cyber-café, l’internet est une attraction, une nouveauté livrée à la curiosité
des consommateurs : « que les plus ingénieux s’exercent à développer
l’usage de cette nouveauté, issue de nulle part ! » Dans la
télé-cyberboutique, au contraire la
visio-conférence se pose comme continuité du téléphone ou de la cassette vidéo,
le mail comme continuité de la lettre ou du message, le web, le
« chat » comme continuité de la presse et de la télévision, ou plutôt
comme combinaison, comme ajout à un ensemble de pratiques. Car tous ces médias,
dont le sociologue
Abdelmalek Sayad nous a montré la
complémentarité dans l’usage domestique, sont disponibles sinon dans la
boutique elle-même, tout au moins dans sa proximité.
Nous
avons vu que les devantures des boutiques contribuent à la mise en scène
identitaire des quartiers marchands. En nous concentrant sur les signes et
inscriptions figurant sur les devantures des « boutiques de
communication », nous allons maintenant tenter de dresser les grandes
lignes de la logique d’offre des produits et services de communication. En
effet, ces signaux sont le reflet de ce que le commerçant a conscience d’offrir
à ses clients et de l’attente qu’il suppose chez ses derniers. Ils comportent
donc une double représentation : celle des technologies de communication,
et celle du client et de l’usage qu’il a de ces technologies . Nous avons donc
relevé ces signaux dans les trois zones de commerces : zones
standardisées, zones frontières et zones ethnique, et les avons classés selon
les thèmes utilisés.
Nous
traiterons à part les affichettes de cartes prépayées, massivement apposées sur
les vitrines de ces boutiques, car leur cas est complexe : les cartes
prépayées sont produites par de grands groupes de communication occidentaux.
Les visuels des affiches sont donc le produit d’un positionnement marketing
étudié, la projection d’un autre type de représentation : celle que les
multinationales se font de l’usage des TIC par les migrants. Pourtant le patron
de la boutique choisit librement de coller telle ou telle affiche sur sa
vitrine, et décide de la façon de les agencer. Les affichettes de cartes
prépayées participent donc aussi à la mise en scène de la boutique.
Huit
thèmes de communication peuvent être déduits de l’analyse des signaux des
boutiques de communication des zones ethniques, standardisées et frontières.
Une même boutique peut faire appel à plusieurs thèmes à la fois, et appartient
alors à plusieurs catégories [Annexe I-7].
1 – Le monde
Cette
catégorie regroupe des boutiques évoquant le monde dans sa globalité. Cette
référence peut être ou non associée à une référence à une zone géographique
plus précise (catégorie 2). Ce thème suggère l’offre d’une communication libre
et « universelle » s’affranchissant des pays et des frontières.
Les
signaux peuvent prendre une forme graphique. La plus répandue consiste en une
multitude d’adhésifs ou de fanions représentant les drapeaux de pays issus de
tous les continents, les logos représentant des globes terrestres ou des
mappemondes sont également fréquents. Le motif le plus travaillé représente un
homme marchant sur le globe terrestre, un livre à la main, téléphone portable à
l’oreille, sous un satellite.
Enseignes à Château-Rouge [Annexe IV-4
n°11-21-39]
Sous
la forme écrite, ce thème apparaît dans le slogan « téléphonez moins
cher tous pays » et
ses multiples déclinaisons ainsi que dans les dénominations d’enseignes : « Arunthi
International », « World Communication », « Allo
Monde ».
Enfin,
un vendeur de télécartes symbolise le monde par une douzaine de pendules
réglées sur divers fuseaux horaires, éléments purement décoratifs puisque la
boutique n’offre pas de télécabines. [Annexe IV-4 n°15]
Ce
thème est très représenté dans la zone ethnique, dans les téléboutiques et
télé-cyberboutiques et chez certains vendeurs de télécartes. Parmi les
cyberboutiques n’offrant pas de télécabines, seul le Vis @ Vis adopte ce
positionnement. Ce thème n’est jamais associé à la vente de téléphone
portables, de forfaits ou d’accessoires. Il est donc totalement absent de la
zone Standardisée.
2
- Une communauté, une zone géographique.
Les
références à une communauté ou à une zone géographique précise prennent des
formes très diverses : L’enseigne peut renvoyer plus ou moins
explicitement à un pays, (« Kin Call », « Super Kin
Cit » pour Kinshasa), une zone géographique (« Bengale.net »),
une communauté religieuse (« Ganesa.com »), ou un
continent (« World Communication Afro »). Des caractères étrangers
sur la façade destinent l’offre plus particulièrement à l’une ou l’autre
communauté. Des affichettes proposant des services complémentaires de
traduction (cingalais/français), un accueil en langue Bamiléké, ou annonçant un
partenariat local (« partenariat Auto Yokham Kin »)
contribuent à attirer une communauté spécifique. La consonance du nom du
propriétaire, largement affiché, joue
également un rôle dans la reconnaissance par la communauté : « Al Houda telecom »,
« Vanathy SARL », « Sri Sai Sarl », « Gokalais
Bookshop ».
Une
seule boutique de la zone ethnique se réfère explicitement au concept de
diaspora (« diaspora call »), invitant à une communication de
type communautaire, mais sans que l’origine de cette diaspora soit clairement
décelable. [Annexe IV-4 n°14]
Ce
positionnement, absent de la zone standardisée, est caractéristique du commerce
ethnique. Il concerne tout autant les cyberboutiques que les téléboutiques et
est renforcé par les affichettes publicitaires de cartes prépayées : le
choix de la zone géographique mise en avant détermine la fréquentation par
telle ou telle communauté.
Les
commerces de téléphones portables du boulevard Barbès contribuent à ce thème
par l’intermédiaire d’affichettes vantant les « GSM Afrique ».
Nous aurons l’occasion de revenir sur cette orientation particulière de la
vente de téléphones portables vers le marché africain. Une boutique de la zone
ethnique (30) décline le thème de l’achat pour l’export avec la mention « détaxe
à l’exportation », mais sans précision de zone géographique
particulière.
Commerce de GSM-Boulevard Barbès [Annexe
IV-4 n°45]
3
- La famille, les amis lointains (nostalgie)
L’appel
vers la famille laissée au pays, le thème de la séparation, aurait pu être un
thème récurrent des boutiques de communication des quartiers migrants. Pourtant
le thème est très peu représenté dans les enseignes et slogans des boutiques.
Seules deux boutiques relèvent explicitement de cette catégorie : le Super
Kin CIT propose une « communication avec image – photo souvenir après
la communication » qui n’est manifestement pas destinée à la
communication professionnelle et le Happy Call de la rue Labat affiche une
fresque sur laquelle une jeune femme indienne (elle arbore le bindi) prononce
dans une bulle : « maman ne t’inquiète pas, avec Happy call je
téléphone vraiment pas chère (sic) ».
Rue Labat
Le
Vis @ Vis, qui propose un service de visiophonie en partenariat avec un
cybercafé de Dakar, communique sur le thème de la nostalgie et de l’appel
familial dans la presse et les médias. Le slogan de ce service affiché à
l’intérieur du cybercafé est « PLUS JAMAIS LOIN DE VOS PROCHES ». Cependant ce positionnement n’apparaît
pas dans le matériel commercial extérieur de la boutique.
L’impression
de nostalgie est cependant beaucoup plus forte que ne le laisse deviner
l’analyse stricte de la façade de la boutique. Si cet argument est peu utilisé
dans la décoration commerciale, il est cependant très représenté dans les
affichettes publicitaires de cartes prépayées, conçues par les groupes
producteurs de ces cartes, que le
commerçant appose en vitrine.
4
– L’objet technologique et la télécommunication
Les
réseaux numériques sont difficiles à représenter. Les objets technologiques qui
participent à la transmission ou à la réception des messages permettent de les
symboliser.
Plusieurs
méthodes de mise en valeur de l’objet sont observables :
L’exposition en vitrine de l’objet lui-même : cela n’est possible que pour les
vendeurs spécialisés de téléphones portables qui recourent systématiquement à
ce procédé dans la zone standardisée/tradition et standardisée/discount.
La représentation graphique d’un objet technique (téléphone
portable, téléphone fixe, combiné, satellite), sur la vitrine ou sous forme
d’enseigne : toutes les boutiques de communication y ont largement
recours. Mais le traitement et l’importance donnés à la représentation varient
selon la zone de commerce. La zone standardisée montre plusieurs exemples de
représentation hyperréaliste ou monumentale d’objet technologique agrémenté de
néons. Une seule boutique de la zone standardisée/discount représente un
satellite mais le traitement du panneau graphique qui met aussi en scène un
téléphone portable et un livre, et ses couleurs pastel, confèrent à la scène
une atmosphère poétique bien différente des représentations de la zone
franchisée.
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Représentations
de satellites Rue Ordener et Bd Barbès [Annexe IV-4 n° 56 et 49]
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« gigantisme
cellulaire » dans la zone standardisée, rue Ordener [Annexe IV-4
n°53-54-55].
Les
boutiques de la zone ethnique ne présentent pas d’objets technologiques
monumentaux ou hyperréalistes mais les figurent sous la forme de pictogrammes
signalant l’activité de la boutique : combiné téléphonique, téléphone
fixe, téléphone portable stylisés figurent sur les enseignes, sont imprimés sur
des affiches ou clignotent sous forme de petites enseignes. Leur rôle n’est manifestement
pas d’exalter la modernité : certains logos montrent les combinés
téléphoniques avec leur cadran rond, tels qu’ils étaient il y a vingt ans.
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Diverses
enseignes des zones ethnique et frontière
L’évocation de l’objet technique : certaines boutiques utilisent des termes
techniques (service informatique, espace multimedia, cyberbureautique, visiophonie)
pour désigner leurs activités et services. Le cas est relativement rare et
concerne seulement quelques cyberboutiques des zones frontières et le Vis @ Vis
qui, localisé dans une zone ethnique, tranche cependant avec le modèle
commercial environnant. Nous verrons avec l’évocation des services, que la
tendance des boutiques de type ethnique est plutôt d’éviter les désignations
techniques. Ainsi, l’expression « surfer sur le net »
n’est-elle employée que dans une seule boutique des zones ethnique et frontière
[Annexe IV-4 n°27].
L’évocation de la communication : plus que l’objet technique, c’est
l’action de communiquer, c’est à dire la destination finale de l’objet
technique qui est évoquée, notamment dans la zone ethnique. Parmi les multiples
procédés permettant de représenter l’abstraction, la plus rare est la
figuration d’un individu téléphonant,
car elle demande de faire appel à graphiste.
L’arobase
est souvent utilisée pour symboliser l’internet, et il est remarquable que
l’ordinateur n’est figuré que dans une seule cyberboutique [Annexe IV-4 n°24].
Le
procédé le plus utilisé par tous les types de boutiques et dans toutes les
zones, est l’emploi de locutions évoquant le monde des télécommunications sans
présenter de sens précis : « phone », « telecom »,
« net », « call », « allo »,
« connect ». Cette locution évocatrice se combine alors avec
d’autres thèmes de communication : locutions évoquant le monde (« World
communication », « Allo Monde », une référence à une
zone géographique (« Kincall », « Bengale.net »),
le nom de la rue « Myrha phone » ou celui du propriétaire
(« Ichraq.com »). Le cas extrême est représenté par l’enseigne
« Internet@communication » qui réunit trois locutions
évocatrices.
5 - Les Marques
Dire
que la référence aux marques est un procédé courant des zones standardisées
/tradition et standardisées/ethniques est une tautologie puisque la référence
aux marque est un des principaux éléments de différenciation de cette catégorie
de commerces. Plus rare dans les zones ethniques, ce procédé n’en est cependant
pas absent tout en prenant des formes différentes. L’utilisation de la marque
comme argument de vente est, dans le domaine des « boutiques de
communication », lié davantage au type d’activité de la boutique qu’au
type d’environnement commercial.
Ainsi,
quelque soit la zone, les marques (noms de fournisseurs d’accès) sont
systématiquement présentes dans les commerces de téléphones portables. Les
logos des opérateurs de téléphonie figurent pêle-mêle sur les enseignes lumineuses,
les façades, les sticks publicitaires collés sur la vitrine et sont identiques
selon les zones, car ils font partie du matériel publicitaire standard.
Rue Labat dans la zone Château-Rouge
Les
noms de marques de téléphones sont également très présents, figurant sur les
affichettes publicitaires officielles des fournisseurs dans la zone
standardisée, ils sont le plus souvent griffonnés à la main sur les affichettes
dans la zone discount ou ethnique.
La
mention de la marque suffit parfois seule à désigner le produit commercialisé,
sans autre dénomination.
Dans
les boutiques spécialisées dans la vente de télécartes, les noms des fabricants
de cartes sont des arguments très présents par l’intermédiaire des affichettes
des tarifs de communication des fournisseurs, car le prix de l’appel est le
principal argument de vente de ce produit.
En
revanche, dans la plupart des télé et cyberboutiques les marques sont absentes
ou très discrètes. Il est souvent impossible de connaître le ou les
fournisseurs d’accès de ces lieux.
6 - Le Prix
La
communication sur le prix, et notamment sur le bas prix, est traditionnelle
dans les zones de Barbès et Château-Rouge très influencées par les magasins
TATI précurseurs du discount. Elle est également présente dans la zone Ordener
ou un magasin franchisé affiche un concept de « téléphonie à prix
discount », tandis que France Télécom vante ses « prix
irrésistibles ».
L’argument
du prix est systématiquement invoqué par les téléboutiques et les vendeurs de
cartes dont les slogans diffèrent peu : « téléphonez moins cher
partout dans le monde », « économisez juqu’à 60% et au delà »,
« venez téléphoner à tarif réduit dans le monde entier »,
« économisez ! », « économisez jusqu’à 65% sur
vos appels »….
En
revanche ces slogans ne sont pas utilisés pour vanter les accès internet dont
les tarifs sont plus sobrement indiqués, mais étudiés pour être attractifs, en
proposant par exemple des tranches de 5 minutes. [Annexe IV-4 n°32]
Si
la notion de bas prix peut difficilement être représentée graphiquement, elle
est néanmoins suggérée par l’état de la boutique et la simplicité des matériaux
utilisés[4].
Les affichettes griffonnées sans soin et collées sans alignement sur la
vitrine, les enseignes délabrées, les façades écaillées et les boutiques
« palimpsestes »[5]
sont autant de signes adressés aux chalands. Signaler la vente de téléphones
portables dans un bazar, au milieu d’ ustensiles de ménage sans valeur, est une
mise en scène contribuant à banaliser l’objet technique et à l’inscrire dans le
quotidien.
Bazar Bd Barbès dans la zone standardisée
discount [Annexe IV-4 n°44]
7 - Les Services
La
fourniture de services complémentaires dépend à l’évidence du type d’activité.
Les services proposés par les commerces liés à la téléphonie se limitent au
déblocage de ligne, souvent annoncé comme « déblocage toutes
lignes », ou à la réparation des téléphones, pour les boutiques de
portables et forfaits, et à l’indication d’une plage d’ouverture extrêmement
large pour les téléboutiques (« 7j sur 7, 9h00 23h00 » pour une
modeste téléboutique de la rue Myrha » [Annexe IV-4 n°09]).
Les
cyberboutiques et les boutiques mixtes (cyber et télé) de la zone ethnique
agrémentent l’accès à l’internet d’une offre de services qui entre 2001 et 2003
s’est nettement diversifiée.
Une
première catégorie de services constitue désormais une offre classique des
cyberlieux et est également proposée dans les Espaces Publics Numériques :
initiation à l’internet, formation aux logiciels word excel, Windows 95 et 2000[6],
scannage ou impression payable à la page, réalisation de sites web. Quelques
rares cyber boutiques des zones ethnique et frontière utilisent l’argument du
jeu en réseau. Cet argument n’est jamais dominant, mais noyé dans un ensemble
de services.
Une
deuxième catégorie de services, est destinée aux migrants et s’insère dans une
activité commerciale courante dans les quartiers ethniques et destinée à
faciliter les relations du migrants d’une part avec le pays d’accueil, d’autre
part avec son pays d’origine : visiophonie [Annexe IV-4 n°20-21][7],
traductions allemande-anglais-tamoul-cingalais, traductions d’actes
administratifs, import-export, négoce, « aide aux familles »[8].
Un cyber café précise qu’ « ici on parle Bamiléké .
[Annexe IV-4 n°24-25-26-]
|
|
Services associés, bd Ornano [Annexe IV-4 n°24] |
Le
souci de rendre accessible l’internet à une population peu familière avec la
technologie et l’écriture transparaît dans les libellés de services des
boutiques n°08, 20 et 24.
Dans
la première on évite le terme « visiophonie » au profit de
« communication avec image » et l’on énumère avec minutie tout
ce que l’équipement informatique autorise (« impression noir et blanc,
impression couleur, scannage noir et blanc, scannage en couleur texte et image,
consultation de vos sites »), dans la deuxième on propose de « discuter
en direct » (au lieu de « chat »), dans la troisième, on
précise qu’« on rédige les mails ». Le mot « surf »
n’apparaît qu’une fois dans la zone ethnique.
Une
troisième catégorie de services, repose sur la compétence technique des
offreurs ou sur leur capacité à s’entourer de partenaires compétents. L’offre
de formation du Gokalais dépend de la présence d’un salarié diplômé en
informatique, en charge de l’équipement et de la maintenance du réseau et du
partenariat occasionnel avec un jeune infographiste au chômage qui assure les
formations à l’infographie et les prestations de développement de sites web.
Dans la zone frontière, un cybercafé propose des formations aux logiciels
bureautiques assurées…le week end par un formateur d’un organisme officiel de
formation professionnelle. Le recours à « l’informel » est donc
une solution parfois employée pour offrir de la formation et ceux qui se
refusent à y recourir, doivent limiter le service à une rapide
initiation :
« Le
deuxième aspect, c’est l’accompagnement, c’est pas de la formation, on peut pas
former, on prend pas les formations collectives, c’est comme la bagnole. Même
si chacun a un ordinateur devant soi, les rythmes individuels sont tellement
différents. C’est pas une question d’âge ou de culture. C’est psychologique.
On me dit
« je voudrais consulter les offres d’emploi, mais je ne sais pas m’en
servir » Alors on leur crée une adresse e-mail et la phase de création de
l’ adresse, ça prend vingt minutes, ça permet d’aborder les 10 points de
base.(…)
C’est des
questions qui au pire demandent cinq minutes d’explication.
On peut pas passer une demi-journée avec chacun. J’aimerais
bien, si on m’envoie des formateurs toute la journée » [témoignage de Jean d’Eudeville, Annexe
VI].
Cette
exploitation de la compétence technique peut conduire à une activité
secondaire, comme le montre cette boutique de fret et négoce international qui
propose en annexe, une activité d’achat vente de matériel informatique
d’occasion, de maintenance et d’équipement de téléboutique.
Nombre
de boutiques, sur un corpus de 57 boutiques. Un boutique peut utiliser
plusieurs procédés.
|
Vente de téléphones et de forfaits |
Vente de cartes téléphoniques |
Téléboutique |
Cyberboutique |
Multiservices dont cyber et téléboutique |
Le monde |
1 |
3 |
3 |
0 |
9 |
Une zone géographique ou une communauté |
4 |
1 |
0 |
0 |
9 |
La famille, les amis laissés au pays |
0 |
0 |
0 |
0 |
2 |
L’objet technologique |
7 |
0 |
0 |
0 |
1 |
Les marques (hors référence aux
opérateurs) |
5 |
0 |
0 |
0 |
1 |
Les prix |
6 |
1 |
2 |
0 |
8 |
Le service |
0 |
1 |
1 |
1 |
7 |
La communication, l’acte de communiquer |
2 |
2 |
2 |
1 |
10 |
|
Zone standardisée |
Zone standardisée/ discount |
Zone frontière |
Zone ethnique |
Le monde |
0 |
2 |
6 |
8 |
Une zone géographique ou une communauté |
0 |
3 |
5 |
6 |
La famille, les amis laissés au pays |
0 |
0 |
1 |
1 |
L’objet technologique |
4 |
3 |
|
1 |
Les marques (hors référence aux opérateurs) |
1 |
3 |
|
2 |
Les prix |
1 |
5 |
3 |
8 |
Le service |
0 |
0 |
3 |
8 |
La communication, l’acte de communiquer |
1 |
1 |
7 |
8 |
En
2001, les affichettes promotionnelles de télécartes sont présentes sur les
vitrines de toutes les « boutiques de communication » des zones
ethniques, discount et frontière : télécybercafés multiservices, commerces
spécialisés de cartes, à l’exclusion des commerces de téléphones cellulaires et
accessoires, ainsi que dans tous les commerces : salon de coiffure ou de
beauté, épiceries, bazar, commerces de tissu, qui associent la vente de carte
prépayée à une autre activité. Elles sont en revanche totalement absentes de la
zone standardisée (à l’exception d’un magasin d’alimentation général). Il
s’agit donc d’un élément important de la représentation des TIC dans le
commerce ethnique. Cependant, comme nous l’avons déjà indiqué, ces visuels sont
produits par le marketing des opérateurs de télécommunication. Ils ne reflètent
donc pas totalement la représentation des TIC par le migrant, mais plutôt ce
qu’une multinationale, imagine être la représentation des TIC par les migrants.
Bien sûr, le commerçant est libre d’apposer ou non une affichette sur sa
vitrine. Mais ce choix ne s’effectue pas seulement en fonction de la pertinence
du discours publicitaire (par exemple la sélection des affichettes privilégiant
une zone géographique), mais aussi de l’information commerciale véhiculée par
les affiches (les tarifs). On peut donc considérer le discours des affichettes
de cartes prépayées comme une intrusion de la vision occidentale sur les pratiques
des migrants, intrusion plus ou moins contrôlée par le commerçant.
L’affichette
répond à un double objectif. Elle doit, d’une part, permettre au client
d’effectuer son choix en repérant le tarif proposé pour une minute de
communication en direction d’un pays donné. Ce tarif varie selon la
période de l’année (les tarifs évoluent en fonction des promotions) et le type
de carte (la minute d’appel vers un pays donné, varie selon que la carte
cible une zone géographique donnée, ou propose cette destination à l’intérieur
d’une gamme large). Se référer aux tarifs est donc fondamental pour une
clientèle soucieuse de sélectionner la carte la plus rentable.
D’autre
part, elle doit séduire le client et l’inciter à choisir parmi la concurrence.
L’iconographie des affichettes, assortie à celle des cartes, les slogans, les
noms des cartes sont donc soigneusement élaborés.
L’analyse
des slogans, des noms de marque des cartes et des visuels repris sur les
affichettes, [Annexe IV-8] montre que, bien que les grands groupes qui les
produisent visent la même clientèle que les « boutiques de
communication » des zones ethno-discount, leurs arguments présentent
autant de différences que de similitudes.
On
retrouve dans les deux cas :
·
la
référence à une zone géographique ou un pays précis (même lorsque la
carte permet d’appeler dans le monde entier), par le biais des drapeaux, les
affichettes apportant en outre les représentations de paysages ou de monuments
que les commerçants ne peuvent reproduire que maladroitement sur leurs façades.
|
|
·
L’utilisation
de petits mots évocateurs du domaine des télécommunications : com,
télé, call, connect, access.
·
Une absence
presque complète de termes techniques et d’imagerie du domaine des
technologies : le téléphone n’est quasiment jamais représenté.
·
De très rares
allusions à la qualité de service.
Les
différences les plus remarquables sont :
·
Une grande
sobriété dans l’évocation du prix. Si les tarifs sont minutieusement
indiqués et constituent l’argument de vente principal, peu d’affichettes ont
recours à des slogans supplémentaires vantant leur compétitivité, alors que les
téléboutiques de la zone ethnique y ont massivement recours.
·
Le peu
de référence au « monde » ou à l’international. Peu de marques de
cartes comportent les mot « World » ou « international ».
Peu d’affichettes représentent le monde sous la forme d’une mappemonde ou d’un
globe terrestre, alors que ces symboles sont très présents dans l’iconographie
des téléboutiques.
·
La charge
affective, présente sur un nombre important d’affichettes, résulte de
procédés divers : l’humanisation de la communication par la référence à la
voix, plutôt qu’au téléphone, pour les cartes du fabricant Télévoice
(« voice of Megreb, voice of Africa etc.), l’affirmation de l’attachement
au pays («j’aime le Mali », « Notre Afrique »), ou du mal du pays (« Nostalgie
Africa »), l’illustration par des visages de femmes, d’enfants ou de
vieillard, sur fond de paysage caractéristique du pays.
|
|
|
Rappelons
que seules deux « boutiques de communication » de la zone ethnique
(dont l’une est le Vis @Vis, dont le fondateur est français) utilisent
l’argument affectif. Il est donc étonnant de voir que
la nostalgie n’est pas directement « assumée » par le commerçant,
mais qu’elle est émise par le marketing des groupes de communication
internationaux et seulement relayée par le distributeur. On assiste là à une
étrange médiation.
Il
existe un troisième usage de ces affichettes : elles décorent la vitrine
et contribuent à l’ambiance « ethnique » du commerce. En effet, nous
avons vu que l’un des codes du commerce ethnique est la profusion,
l’entassement des marchandises. Un autre code, consiste à masquer presque
complètement l’intérieur de la boutique par les marchandises exposées en
vitrine, cependant que la porte de la boutique reste ouverte[9].
Les
affichettes sont souvent utilisées pour masquer la vitrine selon ce code
marchand, parvenant à donner une impression de profusion, alors que le produit
est virtuel !
Rue
Myrha Bd
Barbès
La téléboutique se trouve un peu à l’écart de l’animation du marché exotique. C’est un espace d’environ 25m². Immédiatement à l’entrée, contre la vitrine, se trouve un comptoir sur lequel est posé l’ordinateur de contrôle des cabines. C’est vers ce comptoir que se dirigent la plupart des clients en entrant, pour demander qu’on leur attribue une cabine, et en sortant, pour régler le montant de leur communication que le gérant lit sur l’ordinateur.
Le sol de la boutique est pavé de carreaux imitant le marbre blanc, sales. Les murs sont enduits de plâtre blanc non lissé. Des néons éclairent l’ensemble, l’un d‘entre eux est en panne. Derrière le poste de consultation internet, un compteur électrique dont les plombs sont apparents, un robinet, un seau et une échelle. Certains éléments de décoration n’ont pas été fixés et sont juste adossés au mur.
L’infrastructure est composée d’un photocopieur placé près du comptoir, de 7 cabines en panneau d’aggloméré imitant le bois. Dans chaque porte, un rectangle de verre dépoli laisse pénétrer la lumière, sans qu’on puisse voir le client, mais l’espace intérieur reste sombre, et les clients laissent souvent la porte entr’ouverte. L’intérieur de la cabine est composé d’une tablette, d’une chaise pliante et d’un téléphone posé sur la tablette.
Deux téléphones supplémentaires sont disponibles « à l’air libre » dans un espace ménagé entre deux cabines. On les utilise debout.
Au fond de la boutique, une petite table sur laquelle est posé un PC Hewlett Packard, de configuration récente et une chaise pliante : c’est l’espace internet.
Deux types d’affichettes sont apposés sur les murs : les tarifs de la consultation de l’internet et de l’utilisation des messageries imprimées par ordinateur au format A4, et les mêmes affichettes très colorées arborant les tarifs de cartes prépayées que l’on retrouve sur nombre de vitrines du quartier.
Ce samedi de septembre 2001, entre 17h00 et 18h00, à l’heure où le marché exotique bat son plein, la fréquentation est impressionnante : en moins d’une heure, plus d’une centaine de clients se sont croisés dans ce petit espace. Certains reviennent plusieurs fois, d’autres attendent sur le trottoir qu’une cabine se libère ou que la personne qu’ils accompagnent achève son appel. L’animation tourne parfois à la confusion : les clients cherchent une cabine libre en jetant un coup d’œil par la lucarne découpée dans les portes et marquent leur désappointement lorsqu’ils doivent se rabattre sur les téléphones extérieurs, le « patron » mélange les numéros de cabine, sans d’ailleurs que cela provoque de conflit. Le volume sonore est important car les voix ne sont nullement étouffées par les cabines. Parfois, le « patron » tente une mise en ordre : « fermez la porte ! ».
Les clients échangent quelques mots en attendant leur tour devant les cabines ou le comptoir, mais les échanges ont plutôt lieu dans la rue, devant la boutique exiguë dans laquelle on s’attarde peu.
La majorité des clients est composée d’hommes africains de 35 à 50 ans. A cette heure là, les maghrébins ont représenté environ 15% de la clientèle. Les femmes, moins présentes que les hommes (un tiers du public environ), ne sont cependant pas rares : jeunes filles et mères de familles, accompagnées d’enfants, seules ou en couple.
Tous les types vestimentaires du quartier sont également représentés : femmes en boubou, hommes âgés vêtus d’une djellabah, femme en costume traditionnel maghrébin, jeunes filles en baskets à plate-forme et pantalon « patte d’eph’ », hommes en cravate et costume, parfois à manches courtes à la façon africaine, ou en jeans et chaussures de sport. La téléboutique ne semble pas être l’apanage d’une classe d’âge ou d’un mode de vie particulier, au contraire, elle réunit des populations différentes, comme un lieu utilitaire. La présence d’africains et maghrébins mêlés n’est cependant pas si fréquente dans ce quartier où les commerces français, africains, maghrébins ou tamouls attirent des clientèles différentes, mais le « patron » est maghrébin et la boutique est implantée en plein cœur d’un quartier très fréquenté par les africains ce qui peut expliquer cette mixité. On ne voit parmi les clients aucun représentant des communautés asiatique ou tamoul, pourtant représentées dans le quartier. Les quelques européens présents étaient étrangers (notamment une dame croate).
Un jeune homme de 25 à 30 ans, maghrébin, assure l’accueil de la téléboutique. Il se présente aux clients comme un employé, et non comme gérant ou propriétaire même si certains clients lui donnent le nom de « patron ». Son rôle semble essentiellement commercial : il attribue les cabines et encaisse les réglements, généralement faibles (10F en moyenne), des communications. Cependant un ou deux clients maghrébins ont engagé une conversation avec lui et lui ont serré la main comme à une connaissance.
De multiples langues ou dialectes ont été employés dans cette boutique et la plupart des appels téléphoniques ont été tenus en langue étrangère. Cependant les clients s’adressent au « patron » en français ou en arabe mêlé de mots ou expressions françaises (les clients maghrébins essentiellement). Ce dernier a également échangé quelques mots en anglais avec une cliente.
Certains clients entrent et sortent de la boutique sans s’adresser au « patron », d’autres l’apostrophent pour se plaindre :
- C’est
trop brouillé. Pour chercher du travail c’est pas bien !
- Le patron (à
la cantonade) : Il y a des gens qui ne veulent pas payer, ils ne sont
pas satisfaits !
- Un autre
client : Ca marche pas, j’ai pas parlé, viens voir.
- Le
« patron » : Je peux rien faire pour vous, il faut
payer.
- Le client :
Ca marche pas et je dois payer ça !
- Le
« patron » : Si ! ça marche. 2F60, c’est affiché. C’est
moi qui dois payer ?
Une demi-heure plus tard, un autre client :
- J’ai
eu personne, je paye pas, j’ai pas parlé.
- Le
« patron » : Si on décroche, on paye. C’est le réseau
là bas au Ghana qui ne va pas.
- Le client :
Je voulais parler avec ma famille .
-Le
« Patron » : C’est nous qui devons payer ? Nous
sommes employés.
Certains demandent un conseil technique :
- Chef !
C’est double zéro toujours ? Chef ! Ca marche ? Ca sonne
occupé !
La confusion régnant alors dans la boutique, jointe à la barrière de la langue (DES langues !) n’a pas permis d’observation plus détaillée des clients. Une autre observation a été effectuée une semaine plus tard, toujours le samedi, mais à un horaire plus calme (entre 12h00 et 13h00). Lors de cette seconde observation, une cinquantaine de personnes seulement s’est présentée dans la téléboutique, confirmant l’hétérogénéité de la clientèle. Dans ce segment horaire, la clientèle était un peu plus jeunes (majorité entre 25 et 30 ans) et nettement équilibrée entre maghrébins et africains.
La première observation avait posé les grandes lignes de l’usage des téléboutiques : les clients appellent généralement des compatriotes, puisqu’ils téléphonent dans leur langue. Les réflexions des clients, lors des incidents de connexions, révèlent que beaucoup d’entre eux appellent l’étranger (le grand argument commercial des téléboutiques est d’ailleurs le coût avantageux des appels vers l’étranger) :
« Ca ne
marche pas au Ghana !»
« C’est
occupé, elle est là à Alger ! »
Les appels restent brefs (de dix à quinze minutes), peut-être par souci d’économie (la plupart des appels sont facturés entre 10 et 15 francs). Les clients se montrent d’ailleurs préoccupés du coût : ils se renseignent avant d’appeler, contestent parfois le paiement des 2F60 (coût d’un appel vers un portable, même s’il ne répond pas). Les appels concernent la famille ( Je voulais parler avec ma famille !»), mais d’autre types d’appels peuvent être passés : prise de rendez-vous (« Je téléphone à mon fils, il vient me chercher » lance à la cantonade une femme à l’ample boubou orange), recherche d’un travail (« c’est trop brouillé, c’est pas bon pour chercher du travail » ).
Lors
de cette deuxième observation, notre attention est attirée par le manège d’un
jeune homme de 25 à 30 ans, utilisant l’un des postes « à
découvert ». Durant une quinzaine de minutes, il appelle successivement
plusieurs numéros, laissant un message sur un répondeur, ou prenant rendez-vous
avec un interlocuteur (musicien, il dispose d’un studio pour l’après-midi et
convoque son groupe à une répétition). Manifestement habitué au fonctionnement
des taxiphones, il effectue des allez-retour au comptoir pour régler ses
communications, y compris les fameux 2F60 d’appel vers portable. Alors qu’il
stationne devant le comptoir, son téléphone portable sonne, il s’en saisit et
répond dans la boutique.
Le Vis @ Vis est un espace d’environ 60 m², plus grand que la plupart des boutiques du quartier, et situé à l’écart de l’animation de Château-Rouge, en face de l’église Saint-Bernard.
On entre d’abord dans l’espace café, constitué de sept tables carrées imitant le marbre, de chaises et d’un comptoir en bois et métal d’un désign étudié. Une glacière et un grand téléviseur (éteint) complètent l’ensemble. Le café vend des sandwiches et des boissons chaudes ou froides.
L’accueil est assuré par un jeune africain, une jeune maghrébine et un français qui assurent indifféremment l’accueil au bar et dans la salle de consultation.
Le long d’un mur, une exposition de photos montre les actions de l’association « enfants solidarité » dans un pays du maghreb.
Ce samedi 15 septembre, à 13h00, sept hommes maghrébins, sont attablés devant cafés et verres d’eau autour de trois tables. Tous semblent se connaître et être des habitués. Un nouveau venu, serre quelques mains, et s’attable avec eux.
La frontière entre le café et le cyberespace n’est marquée par aucun meuble, la banque d’accueil étant placée au fond de l’espace dédié à l’internet. C’est la présence des micro ordinateurs, la disposition des tables face aux murs, qui marquent la rupture.
Au fond de cet espace, un vaste bureau vitré (réservé au personnel) auquel s’appuie la banque d’accueil, et treize micro ordinateurs disposés le long des murs. La partie la plus éloignée de l’entrée est encore en travaux et le matériel de bâtiment est soigneusement dissimulé derrière des paravents.
L’un des murs est recouvert d’une fresque très colorée, du genre « street art », représentant des adolescents surfant sur des planches à roulettes dans une cité.
Près de la banque d’accueil, une grande affiche vante le commerce équitable de café, et des affichettes au format A4, éditées par ordinateur, annoncent les tarifs de consultation (25F l’heure), les tarifs de photocopie (50 centimes la page) et signalent la menace d’un virus informatique.
Un jeune homme,
occidental, consulte un site d’Aïkido, un jeune maghrébin d’environ 17 ans, un
bandana noué sur la tête, griffonne un document sur un coin de table, une jeune
française, très à l’aise salue les animateurs et quitte la salle en lançant « je
vais revenir, je n’ai plus de travail ! »
Pendant une heure, il y aura très peu d’allées et venues, chaque nouveau venu doit se présenter à la banque d’accueil pour se voir attribuer un micro, car la consultation est protégée par un mot de passe.
L’ambiance est feutrée. Les clients restent silencieux, ou s’adressent aux animateurs à vois basse. On entend au loin les discussions animées du café.
Un homme, maghrébin, d’environ 30 ans, s’installe à un micro et y reste environ 30 minutes.
Deux hommes, maghrébins, d’environ 30 ans, entrent ensemble et stationnent au milieu de la pièce avant de s’asseoir devant des micros. Ils discutent avec animation, avec force gestes, mais à mi voix.
Un africain entre et propose un service de nettoyage de vitrine.
Deux jeunes filles africaines (18/20 ans) s’assoient pour consulter ensemble un site d’annonces de spectacles.
Le jeune homme au bandana apporte son document à l’animateur : il s’agit de son Curriculum Vitae (il est en 1 ère, après avoir passé un BEP). « Tu le saisis dans Word, tu le mets en forme et je viens », lui répond l’animateur. Quelques minutes plus tard, l’animateur intervient « Ouh là ! Tu connais le clavier ? un peu ? ». Il s’installe au clavier et conseille le jeune homme sur l’ordre des informations et la mise en page.
Les animateurs se montrent à la fois discrets et présents. L’un m’indique ma place et me demande si j’ai besoin d’aide. Au bout de 30 minutes, un autre me demande si ça va. A la fin, l’animateur à qui je règle ma consultation me demande mes impressions.
Ces observations, et quelques autres effectuées dans le quartier [Annexe IV 10], montrent quelques différences dans le mode de fréquentation des télé et des cyberboutiques. Les téléboutiques sont fréquentées par toutes les communautés, quelque soit l’origine du « patron », et tous les âges y sont représentés. On peut parler d’une fréquentation familiale, car les enfants y accompagnent les parents. La durée des appels, généralement brefs, occasionne de nombreuses allées et venues dans la boutique, pour régler la communication, vérifier le tarif ou demander la connexion. On entre dans la boutique avec une poussette d’enfant, une gaufre, ou une cannette de bière. Des groupes stationnent parfois dans la boutique, ou sur le trottoir, devant la porte, sans chercher à téléphoner. Rue des Islettes, les soirs d’hiver, un « marché au voleur » s’organise devant la téléboutique, à la faveur de l’éclairage et des allées et venues des clients Il en résulte une impression de confusion, renforcée par le niveau sonore important, car les portes entr’ouvertes des cabines laissent passer les éclats de voix. Le rôle du « patron » consiste à réguler la fréquentation, percevoir les paiements, plus rarement donner une indication technique. Les clients échangent avec lui des civilités ou contestent les tarifs. La téléboutique apparaît comme le prolongement du marché, un lieu « approprié » collectivement par ses clients et dans lequel tous se sentent à l’aise.
L’ambiance est différente dans les cyberlieux, et cela apparaît d’autant mieux dans les boutiques offrant un espace internet à côté d’un espace téléphonique comme le Happy Call de la rue Labat. Là, les séances de consultation durent souvent plus d’une heure et suscitent peu d’allées et venues, la disposition des écrans, du mobilier, induit un usage individuel. C’est un lieu de silence où élever la voix est ressenti comme une incongruité et celui qui s’y laisse aller se reprend aussitôt.
Les clients des espaces internet, comme ceux des espaces téléphoniques, apartiennent à diverses communautés, mais les clients de l’internet sont généralement de jeunes gens. Le pré-adolescents et les enfants séjournent seuls dans l’espace internet où les parents, s’ils ne pratiquent pas l’internet, ne trouvent pas d’autres activités. Les employés ou gérants de la boutique, même lorsqu’ils ne proposent pas ouvertement un service d’initiation, sont conduits à assister les clients dans leur manipulation de l’ordinateur. Cette présence adulte conduit certains parents à utiliser le cybercafé comme une garderie, où, après l’école, l’enfant trouve une occupation et une surveillance.
Des
télécommunications à bas prix certainement. Mais cela ne suffit pas à expliquer
pourquoi la commercialisation de ces produits et services se développe avec une
telle intensité et sous une forme
ethnique, au point de devenir un emblème des quartiers migrants.
La
carte des commerces de TIC de Château-Rouge dessine un territoire qui n’a
pas de fondement réel. Nulle loi, nulle contrainte géographique, nulle
inégalité d’équipement n’en a dessiné les contours. Le territoire
communicationnel de Château-Rouge est une production culturelle, le résultat
tangible et observable d’une attirance particulière vers les technologies de
communication et les lieux de vente rappelant le souvenir du pays d’origine.
Qu’il soit issu de l’imaginaire collectif migrant n’ôte rien à la qualité des
échanges marchands, des emplois créés, bien réels ceux-là.
Les
technologies nous disent Simondon, Scardigli et Descolonge, les machines à
communiquer renchérissent Schaeffer et Perriault sont des producteurs de rêves.
La migration, la diaspora produisent également des rêves collectifs ou
intimes : reconstruction
territoriale à l’étranger, mythes de retour, abolition de la distance.
Les
boutiques de communication de Château-Rouge se trouvent donc au carrefour
de deux productions imaginaires dont elles sont le fruit.
Nous
nous attarderons donc sur ces rêves, parce qu’ils nous éclairent sur la logique
de l’usage des TIC en milieu migrant, ainsi que sur la dynamique identitaire de
cet objet économique qu’est la téléboutique.
Au
début de ce travail nous avons émis trois hypothèses pour expliquer la multiplicité
des téléboutiques de Château-Rouge. La première suppose qu’elles constituent
des lieux de d’échange et de débats politiques, la deuxième qu’elles sont le
signe d’une instrumentalisation extrêmement rapide des réseaux numériques dans
une logique de développement économique international. La troisième hypothèse
est que ces lieux participeraient au « bricolage culturel » des
migrants : entre le rêve de communauté diasporique et le modèle
d’intégration à la française, ils constitueraient un équivalent symbolique du
va-et-vient.
Certains
créateurs de téléboutique ont pu exprimer dans la presse le sens de leur
projet. D’autres ne disposent que de leur enseigne ou de leur vitrine pour le
manifester. L’histoire toute récente des technologies dans le quartier a eu le
temps de produire ses figures héroïques. Les répétitions et les croisements de
ces expressions constituent le discours des téléboutiques de Château-Rouge.
[1] Contrairement au principe de la « calling card », proposée par les organismes financiers ou France Téélcom, qui, associée à un compte bancaire ou un compte téléphonique, dispose d’un crédit illimité.
[2] Rue Doudeauville, rue Poulet, rue des Poissonniers.
[3] A la Goutte d’Or et à la Chapelle : la guerre du téléphone est déjà commencée.- Le 18e du mois, janvier 1998
[4] Ce procédé
m’a été indiqué par Mohammed C., patron de laverie automatique qui hésitait à
repeindre sa façade, parce que « si la boutique est trop neuve, les
gens croient que c’est cher ».
Sur le même thème Sophie Bouly de Lesdain relate les propos d’un restaurateur
Bamiléké de Château-Rouge : « Le jour où j’ai fait un restaurant
propre et net, les gens ne sont plus venus »[Bouly de Lesdain, 2000,
190]
[5] Nous appellons ainsi les boutiques qui conservent les enseignes du précédent occupant de la boutique, même si elle n’a aucun rapport avec la nouvelle activité .
[6] Il est à noter que dans deux cas au moins, l’offre de formation n’est possible qu’en faisant appel à l’informel, formateur professionnel ou infographiste au chômage assurant ces formations « au noir ».
[7] Qui implique
l’existence d’un partenariat avec des cyber cafés étrangers, et une prise de
rendez-vous. La visiophonie est offerte dans plusieurs boutiques, sans que nous
l’ayions jamais vu pratiquer.
[8] C’est à dire : envoi d’argent.
[9] Ce code, qui selon la classification de Alveis de Oliveira correspond au « vouloir ne pas être vu » (pudeur), et selon Roux et Melot à la moindre qualité et au prix bas, peut être, dans un contexte interculturel interprété comme une volonté de mystère et un souci de cacher l’activité. Il contribue peut-être à l’animosité manifestée par certains riverains occidentaux à l’égard du commerce ethnique